Louis Douard
Artiste & écrivain
Le graveur du Garlaban
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Il est des personnages à travers qui, comme des prismes, on peut lire toute l’histoire d’un pays, d’une ville, d’une communauté. Avec ses yeux vifs, Louis Douard ne se revendique pas porte-parole, ni symbole. Pourtant, avec son histoire se dessine toute une traversée de l’Aubagne d’après-guerre.
À 85 ans, il ne s’est jamais pensé un destin d’artiste. Né avec la seconde guerre, d’un père mutilé de la première et d’une mère qui va bientôt l’abandonner, il a d’abord cherché à vivre, littéralement, avec avidité, au jour le jour. L’enfant placé en pension se retrouve à seize ans sans rien ni personne, logé dans un petit bar-restaurant où il côtoie les grands voyous de l’arrière-pays marseillais. « J’ai fait ma jeunesse avec eux, mais attention, ce n’était pas le genre de voyous qui détroussaient les grands-mères ! Pour eux je n’étais qu’un minot souvent affamé à qui on offrait sans hésiter une assiette de soupe… » Son apprentissage, c’est celui de la rue. « Je me suis construit tout seul, en autodidacte : je suis très peu allé à l’école, j’y ai juste appris à lire, c’est ce qui m’a sauvé. J’ai lu tout ce qui me tombait sous la main, j’ai lu tout Zola, Giono et Pagnol, j’étais curieux de tout et j’ai continué comme ça toute ma vie. »
Engagé pour déballer les wagons de charbon dans la grande manufacture de céramique Proceram, il est devenu cadre technico-commercial à la fermeture définitive de l’usine dans les années soixante-dix. Il doit se reconvertir dans l’administration à l’hôpital Edmond Garcin, jusqu’à sa retraite. « J’ai fait la moitié de ma carrière dans le privé, où j’ai travaillé très dur pour de petits salaires, mais il y avait de la passion et même de l’amour, et c’est de cette période que j’ai gardé les souvenirs les plus merveilleux. »
Est-ce que la lecture de « L’homme qui plantait des arbres » de Giono lui fait prendre conscience que toutes ces histoires qui lui trottent dans la tête sont autant de témoignages à transmettre ? Il les couche patiemment sur le papier, à la main, volume après volume et confie ses trésors à la Médiathèque Marcel Pagnol, où chacun peut les consulter.
Puis, comme la cigale qu’il célèbre, il va bientôt laisser tomber sa dernière peau pour devenir le « graveur du Garlaban », dont des centaines de randonneurs viennent aujourd’hui admirer les dessins, sculptés dans la roche. « Chaque gravure a son histoire, qui me viennent parfois de celles que l’on me racontait lorsque j’étais enfant, et que j’ai retenues. J’ai décidé de reprendre le flambeau de ces bergers qui gravaient autrefois des sujets divers, dans les secteurs qu’ils préféraient. Je parle de Pagnol, des animaux et des plantes, de l’amour et du patrimoine à offrir à nos enfants… » Ce patrimoine-là, Louis Douard le fait vivre, il est ouvert à chacun et chacune, tous les jours de l’année. Pas besoin de ticket, il suffit d’une bonne paire de chaussures et d’une gourde fraîche !