Les Aubagnais dans la Grande Guerre

Si vous avez raté la très attendue exposition "Les Aubagnais dans la Grande Guerre" lors du centenaire de l'Armistice en 2018, en voici la version numérique. Les Aubagnais racontent, au travers des nombreux documents d'archives qu'ils ont prêtés à la Ville, comment la Grande Guerre a été vécue à Aubagne.

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En 2014, une grande campagne nationale est lancée pour collecter les archives familiales en rapport avec la Première Guerre mondiale. Le service Archives-Patrimoine y a bien sûr pris part et l’engouement des Aubagnais a permis de numériser plus de mille documents ! Toutes les informations qu’ils contenaient ont contribué à rendre l’histoire locale d’autant plus vivante qu’elle est abordée par des sources de première main. Voici donc l’histoire d’Aubagne pendant la Grande Guerre, racontée grâce aux Aubagnais.

Aubagne à l’aube de la Grande Guerre

Au début du XXe siècle, Aubagne est une petite ville d’environ 10 000 habitants dont la population vit principalement dans le bourg(66%). Les 20% d’étrangers, principalement des Italiens, habitent près des usines pourvoyeuses d’emplois. Aubagne est donc une ville principalement industrielle : fabriques de céramique, faïenceries, scieries-tonnelleries (Richelme), charrons (frères Coder), cimenterie (Boyer) et même une fabrique de gélatine (Rousselot) font vivre les Aubagnais.

Mais Aubagne est également une ville agricole : vignes, abricots, fraises, cerises, olives, amandes, pommes de terre… Toutes les cultures sont alimentées par l’Huveaune et ses béals qui irriguent notamment la plaine de Beaudinard. 34% de la population vit d’ailleurs dans la campagne.

Enfin, les Aubagnais peuvent également profiter de fêtes traditionnelles très ancrées : la Saint-Matthieu (saint-patron d’Aubagne), les fêtes de charité, le carnaval…

La mobilisation

Depuis la fin du mois de juillet 1914, l’annonce que la mobilisation est proche est relayée par la presse. La municipalité s’organise très tôt et prépare un programme (au cas où la mobilisation ait lieu de nuit). L’ordre de mobilisation est reçu par le maire le 1er août 1914 à 4h45 par un télégramme. Il établit de sa main le premier exemplaire de l’affiche de mobilisation, soixante-dix-sept sont réparties dans la ville et la campagne. L’annonce se répand par le tocsin sonné au clocher de l’église et par le tambour du crieur public. Le départ des mobilisés se fait aux heures et jours indiqués dans les fascicules, ils se dirigent alors vers les lieux de concentration qui leur ont été assignés.

Aubagne est pratiquement vidée de ses habitants les plus actifs puisque 1 200 Aubagnais sont mobilisés lors de la première période du 2 au 16 août 1914 puis le 6 mai 1915. La convocation des classes 1915-1916-1917 et l’incorporation d’une partie des réformés et des exemptés des classes antérieures permet d’atteindre le chiffre de 1 500 Aubagnais.

Si l’on se base sur la liste des Aubagnais morts pour la France, le plus âgé à partir est Jean-Baptiste Vallier, ancien maire d’Aubagne, capitaine de Gendarmerie (20/05/1848-16/07/1917) et le plus jeune Joseph Gabriel, cultivateur (8/04/1900-10/10/1918).

Les Italiens

L’Italie, restée neutre bien qu’alliée à l’Allemagne, entre en guerre le 23 mai 1915, séduite par les offres françaises et britanniques de récupérer les villes en territoire autrichien (Trente et Trieste). A 13 heures, l’ordre de la mobilisation est donné au son du tambour. La population italienne se réunit alors au Cercle de la Fratellanza, fondé en 1908 et présidé par Giuseppe Careghi.

Le soir du 23 mai, une grande manifestation patriotique est organisée par les Italiens dans les rues de la ville au son des applaudissements et avec l’enthousiasme de toute la population aubagnaise. Un défilé avec les drapeaux des deux nations et des lanternes vénitiennes est organisé. Une délégation italienne avec à sa tête Giuseppe Careghi est reçue par la municipalité. Le maire prononce une belle allocution. Scandée d’applaudissements et de cris : « Vive l’Italie ! Vive la France ! A bas l’Autriche ! » Les manifestants se rendent ensuite aux Cercles de l’Harmonie et de l’Union Républicaine puis au Cercle de la Fratellanza.

Pour aller plus loin…

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L’effort de guerre

La vie quotidienne se militarise. L’armée prend la place de l’administration. Plusieurs services « de guerre » sont créés : les commissions de réquisition, de ravitaillement, les gardes des voies de communication, le service des gardes civils, celui de déclaration des étrangers… Le maire Joseph Lafond organise la vie de la cité en s’attachant aux priorités : la sécurité publique, le maintien de l’économie locale, le cantonnement des soldats, le ravitaillement des troupes et des habitants, l’organisation des œuvres d’assistance et des formations sanitaires, l’hygiène…

Les Aubagnais participent activement à l’effort de guerre. Ainsi, lors de l’appel aux Français à verser leur or en 1915, ils mettent à disposition de la Nation 117 500 F, complétés ensuite par les 2 milliards de Francs souscrits ensuite lors du premier emprunt national.

D’autre part, les réquisitions vont bon train : bêtes, blé, bois, paille… Deux commissions sont ainsi créées début août : l’une sur le cours Legrand (Foch) et l’autre sur le cours Voltaire. Aubagne, l’agricole, fournit essentiellement des céréales (blé, avoine, orge…) et du vin.

Aubagne, centre d’instruction militaire

Le maire entreprend dès le mois de septembre 1914 l’organisation des cantonnements des troupes. Il y verra toujours le moyen de soutenir le commerce local et interviendra auprès du préfet et des autorités militaires pour maintenir sur Aubagne le logement des soldats. La ville offre l’avantage d’être proche de Marseille, facilement et rapidement accessible par la route et le chemin de fer. Le 28 octobre 1914, les jeunes soldats de la classe 1914 sont les premiers à arriver à Aubagne qui devient centre d’instruction militaire pour le 141e Régiment d’Infanterie. Entre le 11 et le 28 octobre 1914, plus d’un millier de soldats, après un séjour au camp de Carpiagne, sont répartis dans les cantonnements mis à disposition de l’armée : les deux chapelles de Pénitents noirs et blancs, plusieurs remises et locaux fournis par les usines en chômage (Pichou, Rigaud…). Ils quittent la ville le 6 novembre 1914, accompagnés par la ferveur de la population et des cinq cents passe-montagnes tricotés et offerts par les Aubagnaises.

Le lendemain, Aubagne accueille un nouveau contingent de 7 à 800 hommes appartenant à la classe 1915. Ils sont alors cantonnés dans les deux chapelles (220), dans la remise Agnel (75), chez Carnoli à l’Ile des Marronniers (75), à la minoterie Monier (100), à la verrerie (75), dans la salle du théâtre du Cercle de l’Harmonie (100) et à la remise Isnard (50). Puis dans un second temps, on ouvre l’usine Rigaud (250), l’usine Ruer (75), l’usine Barrielle (75), la propriété Copello (100), la remise Artufel (40), l’usine des Faïenceries (100) et diverses écuries (200).

Le territoire d’Aubagne, aux terrains suffisamment accidentés et peu éloignés, offre de bonnes conditions pour l’instruction en campagne. Elle est assurée au quartier de l’Hermitage sur un terrain de six hectares où un réseau de tranchées a été installé avec abris couverts et fils de fer. Au vallon de la Guigne, quartier de Fenestrelles, une tranchée est aménagée pour le lancement de grenades chargées.

Entre vie chère et pénurie

1914 passe… la vie de la cité en temps de guerre s’organise… elle en souffre peu mais 1915… puis 1916, le conflit s’enlise… Pour l’administration municipale, 1917 et 1918 seront les années de gestion les plus difficiles : années des déséquilibres économiques, la campagne et les usines manquent de main d’œuvre, le malaise social et moral s’installe, les conscrits convoqués de plus en plus jeunes, l’opinion publique se révolte, les soldats se mutinent.

La répercussion la plus directe de la guerre s’exerce sur l’alimentation. La population dès le 1er août 1914 se précipite dans les boulangeries. Les patrons boulangers représentés par Henri Negrel (président du syndicat) sont les premiers à craindre des difficultés et l’expriment auprès de la municipalité dès le 2 août. Un arrêté municipal du 4 août 1915, prescrit que « jusqu’à nouvel ordre les boulangers ne devront fabriquer et mettre en vente que du pain rond de 400 à 500 grammes ».

La cherté de la vie conduit les autorités à taxer, par décret du 20 avril 1916, certaines denrées : le sucre, le café, l’huile, les pommes de terre… Dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs arrêtés préfectoraux successifs encadrent les modalités de taxation du sucre. Les commandes doivent être assurées par les municipalités et les épiciers se servir auprès d’elles. A Aubagne, la distribution se fait dans le local des sapeurs-pompiers sous la halle de la rue Martinot.

Pour éviter une trop grande envolée des prix de la viande (le prix du cochon de lait est multiplié par 13 entre 1913 et 1919), des boucheries départementales sont créées. A Aubagne, c’est la famille Azan qui tient la boucherie départementale au 2 rue Arnaud Mathieu à partir du 15 août 1916.

Malgré tous les efforts pour éviter la pénurie, les autorités se voient dans l’obligation de mettre en place un système de rationnement à partir de janvier 1917. La lutte contre la pénurie et la cherté des produits occupe intensément la municipalité pendant toute la guerre. Le 26 septembre 1917, le conseil municipal vote la formation d’un comité de surveillance du prix des denrées qui se transforme assez rapidement en magasin municipal géré par Marius Sauvaire qui vend toutes les denrées que le ravitaillement ou d’autres fournisseurs livrent, à des prix contrôlés par la mairie.

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L’agriculture

Dans un premier temps, l’agriculture ne souffre pas de l’état de guerre. Les difficultés ont été anticipées : enfants, Italiens, réfugiés des zones de guerre, réservistes permissionnaires aident les agriculteurs dans les champs. Un garde-champêtre est chargé de parcourir la campagne pour recenser les besoins des fermiers ou propriétaires et des femmes dont les maris agriculteurs ne peuvent pas avoir de permission. Au début de l’année 1916, au vu des demandes répétées des plus grands propriétaires d’Aubagne pour obtenir de la main d’œuvre pour des longues durées, le comité d’action agricole envisage alors de recourir aux prisonniers de guerre. En septembre, ce sont les jeunes des écoles qui sont invités à aider pour les vendanges.

La production et la consommation de la pomme de terre vont être au cœur des préoccupations des édiles et un service central de la pomme de terre sera d’ailleurs créé à Paris. Le 2 décembre 1915, le Conseil général vote un crédit de 80 000 francs qui sera distribué en primes aux planteurs de pommes de terre. Ainsi tout planteur dont l’ensemble des cultures de pommes de terre atteindra au dépassera un hectare aura droit à une prime de 30 francs. Vingt-sept agriculteurs aubagnais vont prétendre à la prime.

L’industrie

L’annonce de la guerre conduit au chômage général des diverses industries locales qui se composent majoritairement de petits ateliers. En 1915, le travail reprend dans les scieries, les tonnelleries et deux ou trois usines de poteries grâce aux nécessités de la Défense Nationale. L’usine Coder, travaillant sous contrôle du service des forges au 31 mai 1916, occupe plus de cent sursitaires à la fabrication des roues et des chariots. L’usine à gaz Bizalion est elle victime du manque de matières premières et de personnel technique, mais l’éclairage public est quand même assuré.

La première Guerre marque un tournant dans la situation des usines aubagnaises. Beaucoup ne s’en remettront pas. La ville voit ainsi disparaître peu à peu ces activités qui ont fait sa prospérité à la fin du XIXe siècle. Seules vont subsister les grandes entreprises dont il reste encore aujourd’hui la fabrique Ravel-Decroix ou bien quelques petits ateliers qui ont su s’adapter au marché et renouveler leur production comme celui de Louis Sicard dont la famille Amy perpétue le travail.

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Aubagne mobilisée au service des blessés

Les progrès techniques de l’industrie de l’armement perfectionnent les armes qui vont infliger des blessures graves et massives, jamais vues auparavant. La Nation doit se mobiliser pour accueillir ses blessés. La Ville d’Aubagne, située sur la ligne de chemin de fer doit ouvrir trois cents lits en plus des vingt-cinq pris en charge par les Dames de la Croix-Rouge. La population est sollicitée pour le prêt ou le don des lits, sommiers, couvertures, linges de corps et mobiliers nécessaires.

Trois formations sanitaires fonctionnent pendant toute la guerre :

  • L’Hôpital auxiliaire n°215 au premier étage de l’Hôpital confié aux bons soins des Dames françaises de la Croix-Rouge et disposant de vingt-cinq lits est ouvert le 20 septembre 1914. Une trentaine de femmes et jeunes-filles, sous les ordres du Dr Parrel, sont au service des blessés dont les premiers arrivent le 4 octobre 1914. Il est installé dans six pièces : deux salles de malades, un réfectoire, une salle de lecture, une tisanerie et un bureau pour l’administration et la Direction. Il cesse ses activités le 5 janvier 1919. 23 400 journées d’hospitalisation y sont comptabilisées.
  • L’Hôpital n°42bis dispose de vingt-cinq à trente lits à l’Hospice, les soins sont donnés par les Sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve dont la supérieure Sœur Théodore. Il est aménagé à partir du 4 octobre 1914, grâce aux dons de la population aubagnaise et au prêt des Compagnie de navigation de Marseille. Deux annexes complètent le dispositif : cinquante lits à l’école maternelle sur le cours Beaumond (en fonction du mois d’octobre 1914 au 14 juillet 1917) et vingt lits installés le 24 novembre 1914 au Dépôt des Tramways, exclusivement réservés aux militaires malades de la garnison (infirmerie militaire) du 141e Régiment d’Infanterie.
  • La troisième formation est ouverte sous le n°51 au début du mois de mars 1915 avec vingt lits au Cercle de Sainte-Cécile (2 cours Legrand) et confiée à la Société de secours aux blessés militaires. Une sœur Trinitaire est chargée des soins aux blessés dont les premiers arrivent du front le 18 mars 1915. Il fonctionne jusqu’au 3 janvier 1919 et reçoit 253 sous-officiers ou soldats pour 11 134 journées de traitement. Le médecin chef est le Dr Joseph Fallen. Eugénie Fallen est chef de service et directrice de l’Hôpital auxiliaire n°51, les infirmières : Mmes Seguin, Ollivier et les dames de l’association.

On dénombre vingt-deux militaires qui décèderont dans les hôpitaux aubagnais, ils seront inhumés au cimetière communal.

Le 8 octobre 1914, le Dr Maurice Parrel est attaché à la Croix-Rouge. Le 21 juin 1915, il cesse son travail à l’infirmerie militaire de l’armée et assure son service à l’Hôpital auxiliaire n°215.

De nombreuses infirmières seront décorées de palmes d’or, argent et bronze pour leur service. La plus connue d’entre-elles est Maria Négrel-Samat, la sage-femme qui en 1895 permet à Marcel Pagnol de venir au monde. Née en 1870 à Saint-Savournin, Maria Négrel obtient le diplôme de sage-femme de 1ère classe le 24 juillet 1891 à la faculté de Médecine de Montpellier. En 1913, elle entre dans l’association des Dames françaises et assure les soins infirmiers du 15 septembre 1914 au 5 janvier 1919 à l’Hôpital auxiliaire n°215. Elle obtient le 10 août 1916 son diplôme d’ambulancière, activité qu’elle exerce jusqu’à la fin de la guerre. Son dévouement est honoré par de nombreuses récompenses : la Croix-Rouge ADR, la médaille de la reconnaissance française, les palmes de l’ADF (20/08/1920), l’insigne spéciale en or et la médaille d’honneur de l’assistance publique en 1936 et enfin la Légion d’honneur en 1952.

Etre soigné à Aubagne

Des loisirs sont organisés pour les blessés. Ainsi, le 14 août 1915, les soldats convalescents peuvent se promener sur le littoral et en ville, des tramways étant mis gracieusement à leur disposition. Le 27 octobre 1915, 120 blessés venant de Marseille sont reçus dans la grande salle du Grand Café et accompagnés des blessés des formations aubagnaises, ils bénéficient sur les tables de sandwichs, de fruits, de gâteaux, de la bière et de la limonade puis assistent à un concert. Plus de 1900 soldats sont soignés à Aubagne, 720 à l’Hôpital par la Croix-Rouge, 950 à l’Hôpital 42 bis et 260 au Cercle Sainte-Cécile. Des centaines d’Aubagnais vont être blessés, certains, amputés, traumatisés de la face, garderont à jamais les stigmates de cette Grande Guerre. En témoignent encore les photos conservées précieusement dans les familles.

La grippe espagnole

Parti de Chine au printemps 1918, le virus fera près de 408 000 morts en France, principalement des jeunes entre 20 et 40 ans. Madeleine Neveu, talentueuse fille de la santonnière Thérèse Neveu, en sera probablement victime. Le Dr Amédée Gaimard raconte :

Les premiers cas ont été constatés par le Dr Gary, médecin chef de la place d’Aubagne, après l’arrivée dans cette ville d’un groupe de travailleurs russes, le 30 juillet, au nombre de vingt-un, et provenant de la ferme de Chibron (Var). Le 4 août, dix-huit d’entre-eux, atteints de grippe, sont dirigés sur Marseille. On prit des mesures et, par la suite, aucun autre cas n’a été signalé. Dès les premiers jours d’août, la population civile est atteinte d’abord d’une façon inquiétante. Peu à peu les cas deviennent plus graves, se compliquant, le plus souvent d’affections thoraciques qui enlèvent parfois les malades d’une façon presque foudroyante. Treize personnes sont décédées dans le courant du mois, âgées de 12 à 45 ans. Pendant ces trois mois : août, septembre et octobre il est admis que sept à 800 personnes de la ville et des environs ont été atteintes par le fléau. M. le Docteur Fallen le plus surmené, assure en avoir traité au moins cinq cents.

La solidarité

Dès le début du mois d’août 1914, le maire apporte son soutien aux familles des soldats mobilisés : il organise de nombreuses distributions de soupes, de bons de pain ou de viande, de légumes… Il institue des garderies par les enseignants pour plus de deux cents enfants de mobilisés. Ces aides sont supprimées le 1er octobre 1914 mais vont permettre d’attendre le versement des allocations de l’Etat à plus d’un millier de familles aubagnaises. La situation est plus précaire pour les proches des non mobilisés ne recevant pas le soutien de l’Etat et touchées par le chômage des industries et l’augmentation des prix. C’est la municipalité qui s’occupe de ces familles en chargeant un comité tout juste créé de donner des secours sous la forme de bons d’alimentation (pain, viande, pomme de terre, denrées diverses…), très rarement en espèces. De nombreuses associations ou comités d’envergure nationale sont créés, ils organisent des collectes, ventes de tickets de tombola comme l’Alliance franco-belge ou le comité du linge du prisonnier de Marseille.

Une initiative personnelle de Mme Ollivier, permet de fournir gratuitement des vêtements aux enfants des soldats mobilisés et aux personnes pauvres en fondant un ouvroir spécial : l’ouvroir « Jeanne d’Arc » boulevard de la Gare. Tailleurs, tailleuses aidés des religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve travaillent quotidiennement à la confection de vêtements. Les écoles organisent également des collectes. Les institutrices et instituteurs publics fondent dès la rentrée d’octobre une caisse spéciale destinée à pourvoir de chaussures les enfants nécessiteux d’Aubagne. Pendant les sept premiers mois de l’année scolaire 1914-1915, quatre-vingt-douze paires de chaussures sont distribuées aux enfants des écoles publiques. Les enfants eux-mêmes participent à la solidarité organisée : les filles cousent et tricotent pour les soldats au front et les prisonniers, leur envoient des paquetages, payent des cotisations hebdomadaires pour secourir les blessés en traitement à Aubagne.

Déjà en 1916, le maire donne au préfet un état du nombre d’orphelins de militaire qui se monte à quarante enfants dont un de père et de mère : Etienne Bruna né le 11 janvier 1915. C’est sa grand-mère qui l’élève « dans la plus complète indigence ». Un établissement, la « Bonne Jeanne », créé par Marius Savon sur des terres au quartier de la Gastaude, ouvre le 14 juillet 1918 et accueille quarante-quatre enfants de 4 à 13 ans de l’Orphelinat de la guerre, institution marseillaise du quartier des Chartreux, berceau de la famille du fondateur.

Les réfugiés

L’avancée rapide de l’armée allemande oblige entre 400 000 et 500 000 civils à fuir dès le mois d’août 1914. Le maire transmet dès le 3 septembre 1914 au préfet les offres faites par les Aubagnais concernant le possible accueil des réfugiés belges ou français venant de villes envahies par l’ennemi. Près d’une quinzaine se portent volontaires pour accueillir les évacués de Toul, de Sains-du-Nord, de Verdun…, offrant ainsi des maisons, cabanons, appartement ou simples chambres à Aubagne et dans la campagne… Ces propriétaires peuvent recevoir s’ils le souhaitent une allocation d’accueil d’1,10 franc pour une personne à 3,25 francs pour cinq. Aubagne accueille peu de réfugiés, ceux-ci préférant rester sur Marseille ou rejoindre le Var. A noter, l’institutrice détachée à l’école de garçons Mme Raparé qui héberge, nourrit et soigne à ses frais deux jeunes enfants réfugiés venant de Saint-Dié (Vosges) pendant les quatre derniers mois de 1914.

Le 5 juillet 1918, le préfet des Bouches-du-Rhône prévient le maire de l’arrivée prochaine de cinquante familles à accueillir dans la ville. Il fait envoyer pour pourvoir en partie à leur installation cent paillasses, cent traversins, deux cents draps de lit et cent couvertures. Un comité de secours aux Rapatriés, présidé par le Dr Gaimard, se forme pour organiser au mieux l’accueil de ces réfugiés qui vont être répartis dans les trente-cinq logements réquisitionnés dans tous les quartiers de la ville (au 15 rue Laget, 2 rue du four, 9 rue de Guin, 7 rue Domergue prêté par les époux Reverdy, 2 rue Frédéric Mistral). Les enfants suivent les cours dans les écoles d’Aubagne.

A la fin des hostilités, la plupart retournent dans leur région d’origine. En juin 1919, il reste encore dix-sept familles (cinquante-deux personnes) dont certaines vont s’installer définitivement à Aubagne. La Ville offre asile en totalité à près de deux cents réfugiés.

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Un ballon dirigeable à Aubagne

Le besoin de surveillance des côtes, de protection contre les menaces sous-marines et d’escorte des convois pendant la guerre réactive l’utilisation des dirigeables, dont l’autonomie est supérieure à celle des avions. Douze centres d’aérostation sont ainsi construits dans l’hexagone mais aussi en Corse, en Algérie et en Tunisie. La Ville d’Aubagne est informée indirectement le 20 juillet 1916 du choix ministériel par une note du chef de service de l’Intendance maritime de Marseille demandant au maire de trouver une solution pour abriter deux camions servant à la logistique du centre en construction. L’annonce de l’implantation d’un centre d’aérostation le long de la route nationale 8 à 4 km de la ville parvient aux Aubagnais qui s’inquiètent. Les agriculteurs des Paluds vont voir leur terre de Coulins déclarée d’utilité publique sur plus de 23 hectares, vingt-quatre propriétaires vont être expropriés et dédommagés par une somme de 5 436,73 francs par an et 4 781,16 francs fixes.

Un premier hangar mesure 150 m de long, 20 m de large et 22 m de hauteur. Il est flanqué d’un bâtiment pour le matériel permettant la fabrication du gaz servant au ballon. Un second hangar est construit juste à côté du premier en 1918. Plus long (160m), plus large (24 m) et plus haut (28m), celui-ci sera visible jusqu’en 1988 dans la plaine des Paluds tandis que le premier, inutilisé dès 1924, est détruit en 1927. Cette masse s’élève sur une zone stratégique près d’un embuc assurant l’évacuation des eaux de la plaine. Le souci de maintenir le fonctionnement correct de ce dernier sera au cœur des relations entre l’armée et les Aubagnais, il occupe de nombreuses pages de procès dans les archives communales et départementales.

Jacques Vincent témoigne : Le voisinage de cet établissement maritime a été pour notre ville la cause d’une recrudescence d’activité peu ordinaire. Tous les matériaux, quels qu’ils fussent, lui arrivaient par la gare du P-L-M. Dès le lever de l’aurore et jusqu’aux dernières heures de la journée, un roulement incessant d’automobiles ou de camions transportaient le tout à destination, non sans soulever d’épais nuages de poussière et éclabousser de boue, les jours de pluie, quelques magasins, revers de médaille aussi peu gracieux que la plupart des revers.

La population exprime quelques craintes de devenir une cible avec l’installation de ce nouveau centre. Alerté le 27 octobre 1917, par le commandement du Centre d’aérostation, de raids de zeppelin allemands dans le secteur (un ballon avait été abattu entre Sisteron et Gap), le maire doit prendre des résolutions pour assurer la protection de sa population. Un système général d’alarme est mis en place. L’alerte est donnée par le bourdon de la Vierge de la Garde, les cloches des églises, les clairons des sapeurs-pompiers, de la troupe et de la douane, les sirènes de certaines industries et celles des bateaux de mouillage. A ce signal, l’éclairage public est supprimé, les portes et devantures de magasins, les volets et persiennes des immeubles doivent être fermés immédiatement. L’autorité militaire complète ce système par des mitrailleuses sur les Aires Saint-Michel.

La première sortie a lieu pour un essai le 17 mai 1917 à 16h30, en témoigne Lucien Grimaud gamin d’à peine 8 ans, à cette date. Commandé par l’enseigne de vaisseau David, le ballon s’éleva lentement dans l’air calme aux applaudissements de centaines de curieux venus à Coulins depuis Cuges et Aubagne. (…) Dès lors, les sorties se succédèrent. Elles attiraient de plus en plus de curieux. (…) Aux enfants que nous étions, les aérostatiers donnaient des morceaux d’étoffe caoutchoutée, tirés de vieilles enveloppes de dirigeables. Nous en faisions des lance-pierres. Les hommes en confectionnaient des blagues à tabac.

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Pendant ce temps, à Carpiagne…

Créé par le ministère de la guerre en 1895, le camp de Carpiagne est utilisé dès lors pour l’instruction et l’entrainement des troupes comme en attestent les très nombreuses cartes postales qui sont éditées à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le 3 octobre 1914, le maire, afin de prévenir tout accident, prévient la population du commencement de tirs au camp de Carpiagne.

Le 30 juillet 1915, 120 prisonniers de guerre allemands arrivent à Aubagne par un train omnibus. Ils sont escortés jusqu’au camp de Carpiagne par les troupes du 141e Régiment d’Infanterie dans leur traversée de la ville sous les regards des Aubagnais qui leur opposent un silence attristé. Le chanoine Gabriel fait mention le 6 octobre 1915 dans son manuscrit du chiffre de 2300 prisonniers allemands envoyés à Carpiagne.

Par la suite, les prisonniers sont utilisés pour participer eux aussi à l’effort de guerre. Ils sont d’abord employés pour consolider le chemin de Carpiagne, puis mis à disposition des grands propriétaires terriens comme main d’oeuvre agricole.

Les visites régulières de la Croix-Rouge et les rapports qui s’ensuivent permettent d’affirmer que les prisonniers étaient particulièrement bien traités à Carpiagne : “Ils sont gras et forts, ils jouent au football en plein midi, sous le soleil”. Vaccins, rations de nourriture avec viande, vêtements, eau potable, et même une baraque pour le culte et le théâtre et une bibliothèque de 2500 livres ! La plupart du temps, les prisonniers sont occupés aux corvées du camp et à l’entretien des jardins de 6h à 10h et de 14h à 17h et cultivent les légumes destinés au camp.

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Les Aubagnais au front

La vie du soldat peut se résumer en de longues périodes d’ennui et de brefs moments de terreur. Les conditions de vie extrêmement difficiles, la vermine et le manque de sommeil minent la santé et l’endurance du poilu. Il lutte contre les rats et les poux, il a froid, il espère la relève et pour tromper l’ennui il écrit, il lit sa correspondance et les journaux, il joue aux cartes ou aux dames, il confectionne des objets ou souvenirs… Les corvées rythment les journées notamment celles d’aller chercher la nourriture à l’arrière.

Le témoignage d’Edouard Lombardo, garde-champêtre de la ville, depuis le Fort de Thavannes le 26 septembre 1915, est édifiant :

Nous avons passé trois heures sous une pluie de feu. C’était effrayant, et, malgré le courage, si la poudre ne vous enivrait pas, il serait impossible de résister. Deux marmites ont éclaté à trois mètres, nous couvrant de terre. Nous ne pouvions plus respirer, étant envahis par la fumée. En plein jour, on n’y voyait pas à vingt mètres. Malgré cela, nous avons reçu l’ordre de tirer jusqu’à la nuit […]. C’est notre bois qui est triste maintenant. Des chênes énormes coupés en deux. Les petits sont arrachés ; beaucoup n’ont plus de branche ; et petit à petit […] il ne restera plus rien. Depuis quelques jours, la canonnade ne cesse pas dans le lointain et l’on dirait le grondement continuel du tonnerre.

Il écrit une seconde fois en 1918 :

Hier soir, à 11h30 précises, nous commencions la préparation d’artillerie. C’est par millier que les canons vomissent la mort. Je me retrouve dans le bois de Bourru. […] Le bombardement est effrayant. Je suis resté 21 mois à Verdun pendant les plus fortes attaques boches ; mais je n’avais jamais vu et entendu un bombardement aussi continu et violent. […] Ainsi, hier, malgré la vigilance de nos avions, les boches sont parvenus à nous incendier trois saucisses ; puis, le coup fait ils sont revenus mitraillés les pauvres observateurs qui descendaient en parachute et, par conséquent sans défense. J’ai très bien vu deux boches mitrailler une saucisse, les observateurs (ils étaient deux) enjamber la nacelle et se lancer dans le vide. Ils tombent pendant 50 mètres comme un bolide ; puis, leur parachute ouvert, ils atterrissent lentement… une chose que je n’avais pas encore vue depuis quatre ans de guerre, ce sont de grandes sapes de poilus, de deux cents mètres de long à vingt mètres de profondeur remplis de corridor ou des régiments entiers peuvent se terrer et même se coucher, car ce ne sont que des lits superposés, et le tout éclairé à l’électricité.

Disposant d’une importante quantité de métal provenant des douilles de munitions (obus, balles) tirées sur l’ennemi, les soldats à temps perdus dans les tranchées ou à l’arrière, fabriquent une quantité d’objets le plus souvent en cuivre mais aussi en aluminium, en pierre, en bois… Ainsi peut-on encore admirer quantité de vases plus ou moins habilement martelés ou gravés, de briquets, de bouillottes, de couteaux, de coupe-papier, de bougeoirs, de lampes, de tabatières, de pendules, de bagues, de broches, de crucifix… Des objets utilitaires, décoratifs, souvenirs, cadeaux destinés à la famille ou au troc pour améliorer l’ordinaire du soldat…

Une fenêtre vers l’extérieur

Plusieurs millions de correspondances sont échangées pendant la Grande Guerre, l’envoi est gratuit pour les soldats et pour la famille grâce à la franchise militaire. Les soldats, forts de l’instruction obligatoire dispensée dans les écoles suite aux lois Ferry, savent écrire pour la plupart…

La correspondance de Louis Jourdan

Mobilisé le 17 novembre 1914 à 20 ans, il entretiendra avec sa famille un correspondance très fournie dont voici un extrait :

J’ai reçu le colis avant la lettre et je n’ai pas fait du retard pour l’ouvrir. Je ne fais pas de retard pour utiliser l’attirail à écrire. Hier je vous ai écrit 3 cartes (…) Les porte-plumes marchent très bien. Il ne me manque qu’une table de nuit. Notre genou la remplace. Tout de même ça écrira mieux que le crayon. Le saucisson, je l’ai gardé pour les tranchées car en haut il rendra plus service qu’ici. Le tabac a été le bienvenu car on n’en trouve pas du tout. Le plus embêtant c’est « la pommade » qui s’est crevée et a imbibé les cigarettes et un coin du tabac. M’envoyez plus de ce pastis car on trouve de quoi laver le linge et se laver. Le cachou Parisien m’a rendu bonne bouche. (28 août 1916)

Quelques fois le courrier ne peut être acheminé pour des raisons tragiques : il est renvoyé avec la mention “le destinataire n’a pu être touché à temps”.

La censure

La lecture des correspondances des poilus remises par leurs descendants aux Archives municipales lors de la grande collecte de 2014 révèlent les expressions qui sont suggérées pour apaiser l’angoisse et cacher la réalité des zones de combats et du quotidien des soldats : tout va bien…, je suis en bonne santé…, rien de nouveau à signaler…Toujours content jamais de mauvais sang et pas bileux surtout mais toujours en 1ère ligne.

Certains contournent les interdictions en rédigeant les lettres en patois ou en utilisant des codes ou bien font poster les courriers par les copains en permission.

Les marraines de guerre

Tout le monde écrit et ceux qui n’ont personne ont les marraines de guerre. C’est toute une organisation qui se met en place grâce à l’initiative d’Esther Lemaire-Crémieux, présidente de l’Union des Familles Françaises et alliées, à partir d’octobre 1914. Des milliers de candidats et candidates se portent volontaires, de tous les milieux et de toutes les régions… ils seront mis en relation au mieux avec les soldats « sans famille » en tenant compte des cultures et des éducations. Les sœurs Maline à Aubagne ont entretenu ainsi une large correspondance et des liens d’amitiés très forts avec quatre frères Alexandre, Fernand, Rémi et Georges Dauphin, liens qui se sont poursuivis entre leur descendance.

Pour aller plus loin…

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La grande Histoire est la somme des histoires individuelles. Nous vous présentons ici brièvement quelques destins d’Aubagnais ayant pris part à la Grande Guerre. Ils ne manqueront pas de vous émouvoir.

Louis Jourdan

Né dans une famille de cultivateurs le 27 mars 1895 au quartier de la Bourde près de la Font de Mai, il est incorporé au 3e Régiment d’Infanterie au bureau de recrutement de Digne le 17 décembre 1914 et part avec sept camarades.

Myope, il est placé en service auxiliaire jusqu’au 26 avril 1916, date à laquelle il passe en service armé. Son quotidien, il le raconte dans son abondante correspondance conservée par la famille. Il est rythmé par de longues marches dans la campagne, des stages d’instruction pour apprendre à tirer à la mitrailleuse, avec des grenades et des bombes. Proche d’Aubagne, il obtient des permissions agricoles chez lui. Il y revient en vélo, il lui faut 3 heures pour arriver.

Au mois de juin, c’est le front. A la mi-juillet, il redonne en fin des nouvelles : il est blessé à l’épaule. Ecarté du front, il est envoyé combattre les feux de forêt dans le sud. “Ils mettent le feu pour nous amuser”, pense-t-il.

Il est incorporé au 221e Régiment d’Infanterie le 8 août 1916. C’est le départ pour le front où il restera jusqu’au 19 mars 1917, lorsqu’il contracte les oreillons. Déclaré inapte à l’infanterie, il est placé au 55e Régiment d’Artillerie de Campagne qui stationne à Orange le 13 juin. Enfin, il est déclaré définitivement inapte le 20 septembre 1917, mais ne reviendra à Aubagne qu’en septembre 1919. Tout au long de sa mobilisation, sa correspondance fournie et souvent drôle nous fait découvrir son quotidien et rend sa dimension humaine à ce conflit mondial.

Henri Chabrier-Taillant

Le sous-lieutenant Henri Chabrier-Taillant est né au Caire en 1886. Incorporé le 13 novembre 1907, il est promu caporal en 1908, puis sergent en 1910. La guerre l’oblige à quitter son paisible boulevard Gambetta à Aubagne. Mobilisé le 1er août 1914 à l’âge de 27 ans, il arrive au 3e Régiment d’Infanterie, très majoritairement composé de Provençaux, le 5 août. Dès le lendemain, le régiment part en train depuis Hyères et Digne pour rejoindre la frontière de Lorraine dans la bonne humeur générale. Notre Aubagnais connaît son baptême du feu le 14 août au milieu de l’après-midi entre Coincourt et Moncourt. Au cours de ce premier combat aussi acharné qu’égal, 751 hommes sont tués. Les Provençaux sont prévenus.

Du 7 au 12 septembre, au nord de Bar-le-Duc, Chabrier-Taillant prend part à la première bataille de la Marne qui signe la première lourde défaite allemande. A la suite de cette bataille, le 3e régiment reste cantonné près de Verdun. Il paiera d’ailleurs un tribut de 421 hommes lors de la bataille à laquelle il participe entre le 21 février et le 24 mars 1916.

Après une semaine de repos bien mérité à l’arrière, le régiment est transféré sur le front de l’Yser en Flandre Occidentale. Il a pour mission de défendre Nieuport-Ville. Le 17 avril, lors d’une réorganisation du régiment, Chabrier-Taillant est nommé sous-lieutenant à titre temporaire.

Le 29 juin, Henri est grièvement blessé à Nieuport lors de bombardements. Il mourra le lendemain. Les circonstances de sa mort lui vaudront d’être cité à l’ordre de l’Armée n°37 du 10/07/1916 : Officier d’une bravoure remarquable. A été mortellement blessé en portant ses hommes à leur poste de combat au moment d’une attaque d’infanterie. Les voyant émus de sa blessure, leur a crié : « En avant ! Vive la France ! » Cet acte lui vaudra également la Croix de guerre avec palme à titre posthume.

La vie brisée d’Henri Lan

Fils de Joseph Lan et de Marie-Thérèse Levet, il est né au 14 rue Arnaud Mathieu (bd Jean Jaurès) à Aubagne le 20 avril 1892. Journalier, il rencontre Myrette (Marie Rose Henriette Moretta) le 28 août 1910 lors d’une partie de pêche organisée entre amis à Cassis, il a 18 ans. Un mois plus tard, ils échangent les premiers baisers… Mais le service militaire sépare les deux amoureux, puis vient la mobilisation. D’abord maintenu dans le service auxiliaire, la commission de réforme de Toulon le classe dans le service armé le 4 juin 1915, il rejoint le 112ème Régiment d’Infanterie.

Il part le 25 juin 1915 avec le Corps Expéditionnaire d’Orient participer à la bataille des Dardanelles jusqu’en octobre 1915. Il est évacué, malade. Débarqué à Toulon, il est envoyé à l’Hôpital de Bandol pour y être soigné. Il passe les fêtes de la Noël en famille et avec Myrette. Puis c’est à nouveau le départ le 24 mars 1916, vers Salonique, la chaleur, les privations, le manque des nouvelles de la famille… Le 4 avril 1917, c’est le retour, il embarque sur un paquebot de la compagnie des messageries maritimes le Yarra qui est torpillé par le sous-marin UC 74 le 24 mai ! Récupéré par le paquebot navire hôpital Asie, il débarque en France et est envoyé à Beaucaire.

Il se marie enfin ! C’est le 24 juin 1917, Myrette devient l’une des rosières d’Aubagne.

Passé au 141ème Régiment d’infanterie, il reste « faire le soldat à Aubagne » pendant huit mois puis remonte au front le 24 février 1918 avec le 321ème Régiment d’Infanterie. Blessé, il est envoyé en convalescence en Bretagne où il apprend la naissance de sa fille, Elise, le 24 mai 1918. Une permission lui permet de la connaître le 4 juillet, mais il doit vite repartir au front jusqu’à l’Armistice. Toujours pas démobilisé, il obtient une permission en février 1919, juste à temps pour voir une dernière fois sa chère Myrette qui, atteinte de la grippe espagnole, décède le 3 avril. Il écrira dans son “Journal d’une vie brisée” qu’il dédie à sa fille : J’ai cru mourir de douleur. J’aurai voulu me tuer. Mais j’avais un devoir à remplir, une promesse que j’ai faite, celle de t’élever et de faire de toi une femme honnête comme était ta pauvre maman.

Gustave et Justin Arnaud

Gustave

Issu d’une famille de cultivateurs du quartier des Craux, Gustave Arnaud entre dans l’armée active à 21 ans. Envoyé au Maroc puis en Algérie, il est rapatrié avec son régiment en août 1914 puis envoyé sur le front en Belgique. Après une semaine, le général Joffre sonne la retraite et le régiment doit contenir les attaques sur le flanc.

Terré dans ses tranchées près de Tracy-le-Val (Oise) à partir du mois d’octobre 1914, le 3e Zouaves y passe des heures sombres pendant lesquelles la putréfaction des corps pollue l’atmosphère d’une odeur insupportable. En juin 1915, la dysenterie fait son apparition et le régiment est mis temporairement à l’arrière, à Berneuil-sur-Aisne.

Le 25 septembre 1915, en Champagne, le régiment se distingue en effectuant une percée dans les lignes ennemis et en permettant la saisie de pièces d’artillerie et de 400 prisonniers. Ce fait d’arme vaudra au régiment une citation à l’ordre de la IVe armée. Le 25 février 1916, c’est à Verdun que le régiment s’illustre à nouveau en tenant courageusement ses positions. Il est cité une seconde fois.

Gustave, avec son régiment, sera de toutes les batailles : à Verdun, dans la Somme, en Lorraine, en Champagne puis à nouveau à Verdun… La Guerre finie, Gustave n’est démobilisé que le 21 août 1919 et peut alors retrouver sa famille.

Justin

Justin, né le 19 août 1887 à Aubagne, charretier, est le frère aîné de Gustave et fait son service militaire dans le 9e régiment de Hussards. Pendant son service, il est nommé hussard de 1ère classe le 30 octobre 1909. Il est renvoyé dans ses foyers le 25 septembre 1910 avec un certificat de bonne conduite. Mais lorsque la Guerre éclate, ces régiments de cavalerie, habitués aux grandes chevauchées en plaine, doivent se résoudre à mettre pied à terre et à devenir polyvalents. Justin, lui, est placé dans la réserve de l’armée active au régiment de cavalerie légère de Marseille, où se trouve le 6e Hussards.

Il participe ensuite à la bataille de Verdun sous le drapeau du 6e Régiment d’Infanterie. Il est tué par un éclat d’obus le 30 juillet 1916 dans le ravin de la Mort, juste à côté de Douaumont, peu avant ses 29 ans.

Charles Azan le brave

Quand l’ordre de mobilisation générale est donné, on peut dire que Charles Azan est loin d’être un bleu. Ce Toulonnais s’engage volontairement dans l’Armée d’Afrique à 18 ans, en 1899, et ne passe dans la réserve qu’en 1909. En 1912, Azan s’installe au 2 rue Arnaud Mathieu, mais il habite encore à Toulon lorsqu’il est mobilisé avec le 111e régiment d’infanterie en 1914. Charles rejoint le régiment le 4 août à Antibes. La suite, il la raconte lui-même dans son carnet de guerre.

Le 1er septembre déjà, près de Verdun, Charles est blessé par un éclat d’obus alors qu’il tente de reprendre une crête aux Allemands. Le 10 septembre, après un combat du 8e colonial, Azan est seul pour secourir un officier toulonnais blessé. Il est alors missionné pour secourir les dix-sept autres blessés qu’il dépose dans une voiture hippomobile tirée par lui-même et deux soldats et qu’il emmène en sécurité vers l’arrière. Cet acte lui vaudra une citation et la Croix de guerre avec étoile de bronze.

Les deux mois qui suivent sont particulièrement éprouvants tant physiquement que mentalement pour Charles qui désespère non seulement des conditions d’insalubrité, mais aussi de l’attitude agressive des gradés. . Il est détaché à compter du 10 janvier 1916 pour être employé, à Aubagne, par la maison Louis Merlat céramique en qualité de défourneur de four à poterie. Une fille Réjane voit le jour le 17 juillet 1918, un mois avant le décès de Virginie sa maman. Il est démobilisé le 1er février 1919 et retourne à Aubagne.

Après avoir travaillé pour les frères Coder puis à l’usine Virabian, il se porte candidat à la place de préposé à l’abattoir d’Aubagne qu’il occupera jusqu’en 1934. Cet office est d’ailleurs en lien avec l’office familial, puisque son frère, Albert, a été placé en sursis pendant presque toute la guerre en qualité de boucher à la boucherie départementale Azan située rue Arnaud Mathieu.

Le refus de la guerre

Dès le 24 août 1914, Charles Azan peste contre l’attitude des chefs : « Je suis de garde de 10h à minuit où je suis relevé par l’alerte et nous nous postons sur le village de Vigneulles à 8 kilomètres de la frontière. Là, nous avons des nouvelles de la guerre qui ne sont guère rassurantes et en plus nos chefs ne sont guère humains et mal complaisants envers nous autres, pères de famille, qui avons quitté nos femmes et enfants pour venir défendre la patrie et nous voir traiter plus mal que les derniers des galériens. »

Le printemps 1917 est la période des grandes mutineries poussées par trois années épuisantes et des conditions de vie au front épouvantables. Les offensives inefficaces et terriblement meurtrières telle que celle de Nivelle au Chemin des Dames font douter les soldats les plus valeureux.

L’armée française fait fusiller plus de 600 hommes (dont 2 Aubagnais) sur les 2 400 condamnations à mort issues des 140 000 jugements émis.

Pour aller plus loin…

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L’Armistice

Après celui signé à Thessalonique le 29 septembre entre les Alliés et la Bulgarie, celui signé le 30 octobre à Moudros entre les Alliés et l’Empire ottoman puis celui signé le 3 novembre à Padoue entre l’Italie et l’Autriche-Hongrie, vient L’ARMISTICE : le 11/11/1918 à 11 h.

Le chanoine Gabriel qui est pour nous un témoin privilégié des sentiments de la population raconte : Mais voilà que vers 10 heures on a vu arriver les voitures du tramway couvertes de pavillons tricolores. On a aussitôt compris. Des drapeaux ont été un peu partout arborés, des ordres ont été donnés. Et à Midi le son joyeux de nos quatre belles cloches tournant à toute volée ont annoncé l’heureuse et bonne nouvelle de la Victoire et de la cessation des hostilités.» Cet arrêt, il l’a appelé de ces vœux tout au long de ses écrits, encore au début de l’année 1918 « Puissions-nous avoir le bonheur de voir les hostilités cesser avant la fin de l’année qui commence ! Puissions-nous avoir une paix fruit de la victoire ! » Les réactions de joie dans la rue se multiplient, les administrations et les magasins ferment, congé est donné au personnel, quartier libre aux militaires. Les cafés sont autorisés à rester ouvert très tard.

La période difficile de la gestion municipale se prolonge encore en 1919 où deux anciens militaires sont nouvellement employés pour la distribution des primes de démobilisations suite au décret du 15 juillet 1918. Les tickets de pain, de sucre et de la farine aux boulangers sont encore distribués en mai 1919. Aubagne panse ses plaies.

Se souvenir

Parmi les 1500 Aubagnais mobilisés, 297 ne reviendront pas. A l’image de Jules André Peugeot, premier soldat à tomber pour la France, le 2 août 1914 , c’est pour Aubagne le jeune Baptistin Marius Barru du 112e Régiment d’Infanterie qui est le premier fauché le 7 août 1914 lors des terribles combats de Dieuze en Moselle. Le dernier Aubagnais à être reconnu « Mort pour la France » est Ferdinand Senez, le 26 août 1921.

Comme le retour des hommes, l’Etat organise celui des morts le 31 juillet 1920 par le vote d’une loi autorisant la restitution des corps à leur famille. A Aubagne, cent sept corps de soldats reviennent en trente convois qui s’étalent entre 1921 et 1936, dont le dernier ramène au pays la dépouille du caporal Joseph Clavel du 7ème bataillon de Chasseurs Alpins tué à 19 ans le 5 novembre 1916 lors des combats dans la Somme.

La reconnaissance de la bravoure et de l’engagement

Vingt-quatre soldats et officiers aubagnais reçurent une ou plusieurs citations « à l’ordre du jour » du régiment, de la division, du corps d’armée, ou de l’armée… témoignage de la reconnaissance officielle identifiant un acte valeureux. De très nombreuses médailles commémoratives, civiles et militaires vont venir reconnaître le dévouement, la bravoure et l’engagement patriotique. A côté de la Médaille militaire créée en 1852 apparaissent pour les plus connues la Croix de guerre (1915), la Croix du combattant (1930), la Médaille commémorative de la Guerre 1914-1918 (1920), la Médaille commémorative de la Bataille de Verdun (1916)…

Commémorer le souvenir

Deux monuments sont érigés à Aubagne (comme à Port-de Bouc), symboles incontournables autour desquels se rassemblent toutes les générations pour célébrer les événements patriotiques. La Victoire s’expose sur la place publique tandis que le cimetière laisse la place au deuil.

L’exécution du Monument à la Victoire sur le cours Foch est décidée dès le 8 décembre 1918 et confiée à Henri Raybaud, sculpteur, sous la direction des architectes du Département Gaston Castel et Louis Chauvet. Sa réalisation en marbre de Carrare, pour le registre supérieur, durera près de quatre ans. Il est inauguré le 11 novembre 1922 le même jour que le Monument aux morts élevé au cimetière des Passons. Celui-ci, décidé en 1919, sera en effet érigé sur un caveau prévu pour accueillir 32 corps. Le sculpteur Arthur Gueniot réalisera le magnifique bas-relief en pierre de Lavoux qui orne le bloc monumental. Le monument porte 288 noms.

De plus, de nombreuses plaques commémoratives sont installées dans la ville ou dans l’église, portant les noms des soldats qui se sont sacrifiés pour leur patrie.

La mémoire des rues

Le premier conseil municipal qui se réunit après l’Armistice décide de renommer deux lieux symboliques : la rue Arnaud Mathieu où se trouve l’hôtel de ville est renommée avenue Georges-Clémenceau et le cours Legrand, place centrale de la ville, devient le cours Maréchal-Foch.

Plus tard, d’autres lieux prendront des noms commémorant la Grande Guerre : le square Henri Barbusse, l’avenue Roger Salengro (1936), l’avenue de Verdun (1964) ou encore récemment l’avenue du Dirigeable et l’avenue des Poilus.

Pour aller plus loin…

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L’exposition de 2018

Portraits d’Aubagnais morts pour la France